DOUAT Marie-Hélène

Marie-Hélène DOUAT au jardin des Rolphies, 30 mai 2015©photo Jean Alain Joubert
 

Marie-Hélène DOUAT, poétesse

Marie-Hélène Douat, est née en 1947, à Dakar au Sénégal.
Elle vit en Aveyron où elle a exercé le métier d’infirmière
libérale à Saint-Laurent d’Olt,
jusqu’à sa retraite en 2007.
Nouveau Recueil, 2022

 

 

« Dans Au fil de soie, la poétesse compose un éloge à propos des artistes, dont on pourrait songer qu’il s’agit d’un certain Pierre Soulages, tant la démarche artistique s’apparente à la sienne : « Le peintre attentif/aiguise au couteau sa toile. Bleu qui se strie/se délave/crie/se plie à genoux/devant le noir. »

Préface de Paul Tojean

Ciel

 

Les nuages ont roulé

en forme de vagues

Le peintre attentif

aiguise au couteau sa toile

Le vent écume l’espace

Au loin la lueur solaire

signe le déclin d’un ciel apaisé

Le bleu se strie

se délave

crie

se plie à genoux

devant le noir


Marie-Hélène a publié dans des revues telles que :
  • Sang des Lauzes,
  • La Revue du Rouergue,
  • L’Arme de l’Écriture,
  • les Éditions associatives Clapàs,
  • Devant le monde le Poète,
  • Les éditions Azieu,
  • La Toison d’Or.
On lui doit plusieurs recueils de poèmes :
 
  • Dans les Fentes de l’Ombre, 1982
  • Chemin de Résonance, 1989
  • Poèmes dédiés à mamie, 1994
  • Aube froissée, éditions Clapàs, 1999
  • Ravines, éditions Clapàs, 2001
  • Petite suite in blue, 2022 [« Sa poésie résiliente, nourrie au fil du temps, par les épreuves, les expériences humaines, les joies fondamentales, s’épure et convoque l’ineffable. », Jean Alain Joubert]

 

Chez Les Amis de la Poésie Bergerac, dans la collection Le Poémier de Plein vent :

  • Transhumance, prix du recueil de la Ville de Bergerac, 2003
  • Blanche Négritude, prix Jean-Michel Walzer 2007, de la Ville de Bergerac
  • Notes Bleues en 2015, Prix Audrey Bernard de la Ville de Bergerac pour l’ensemble de son œuvre.
 
Un disque de poèmes & musique aux Amis de la musique française.
       Compositeur : Christophe Carpentier
       Artiste peintre : Madeleine Marcoux
       Photos et livret : Jean Alain Joubert 
  • Poèmes à Mamie, Florilège poétique, 2003.
Elle participe 1 fois par mois, à Radio Temps Rodez, avec son groupe d’amis poètes aveyronnais
Le contre-chant des mots à une Ballade en POÉSIQUE (poésie/musique).
 
Elle est invitée à participer à des soirées poésie en accord avec des bibliothèques sur l’Aveyron et la Lozère.
 
 
 

Dossiers

LE JARDIN IMAGINAIRE

 

Au clair chant des fontaines, je marcherai dans le jardin imaginaire…
Je l’écouterai battre, intemporel, dans un beau désordre d’herbes et de fleurs…
Des murets écroulés… Des outils de sommeil… Quelques cailloux semés
           par un petit poucet… Le rideau de perles des toiles d’araignées…
Sous un buisson d’épines, à peine frémissant, comme un rôdeur étrange… le ventre
           lumineux d’un insecte ludique.
Un petit pont de mousse suspend son vol aux rides du ruisseau, jusqu’au bosquet
           sauvage où des lianes amoureuses s’enlacent dans l’azur.
Le silence en ce lieu devient soudain musique… prière… attente…
L’essentiel est là, aux multiples visages, terre, air, eau, vie pulsatile…
Une joie indicible brode la feuillure du cœur en mon jardin secret.
♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

RUBAN DE PERLES

 

Je m’étais offert ce jour là… un matin de lumière, un matin
         lisse comme une écorce d’orange pour y poser ma faim…
Un petit soleil tout rond cueilli au saut du lit pour réchauffer mon regard.
Et puis, les mots étaient venus, roulant comme des billes
        sur la page du cahier, des mots semence, à la lueur de l’aube.
J’ai eu envie de jouer avec eux, de les serrer amoureusement comme une
        amante pudique courbée sur un corps de parole…
Ruisselants de chaleur… des mots griffés, un peu fous et sauvages, des “mots-rires”
        des “mots-larmes”, des “mots-dire” s’échappaient de mes doigts, refusant la caresse
        ou forçant la blessure…
Des mots légers comme un nuage de lait, des mots profonds comme un sillon
        de femme, des mots groseilles, des mots chanteurs, des mots enchanteurs,
        des “mots -cris”, des mots séducteurs… des mots d’amour…
Le jour ramenait une douce clarté… J’ai ouvert la fenêtre, respiré le jardin…
        quelques maux se sont envolés…
J’ai noué un ruban sur le reste des mots en un collier de perles multicolores.
photo Marie-Hélène Douat®Un matin vers Lalo, Aveyron

VOYAGE ORIGINEL

 

Très tôt ce matin là, j’empruntais la petite route, la plus haute, peut-être
        parce qu’elle se rapprochait du ciel… de ceux qui était partis…
De longues langues de brume léchaient la rondeur des collines. Dans cette mer
        de volutes marines, enveloppée de nuit, je distinguait à peine les clochers
        des villages alentours, pointés, comme des flèches émergeant d’un naufrage…
Pourtant, le silence, sur l’épaule du temps ne laissait rien sourdre d’une révolte
        mûrie sous les nuées
Au contraire, une paix intemporelle, habillait le paysage, comme un voile de mariée
        prêt pour d’étranges noces
Il flottait dans l’air une curieuse odeur d’humus et de note boisée…
        j’inspirais profondément, le regard tendu, pressentant l’éclat d’une étonnante fête.
Soudain, au bord de l’horizon, l’incendie du soleil surgit comme un volcan !
        je frissonnais, interdite…unique témoin des noces barbares de la terre
        et du ciel, le cœur battant, jusqu’au ruissellement des larmes, le regard
        inondé d’une déferlante quiétude
L’instant était magique !!
Dans un jaillissement de feu et de sang, des ilots émergeaient à présent
        de la brume… Le ciel éteignait doucement ses bougies et tout en bas, sur les
        villages miniatures encore assoupis, on aurait dit que les étoiles d’en haut
        s’étaient posées une à une aux fenêtres des maisons.
La mer et sa forge rougie s’était lentement consumées, l’astre solaire
        roulait sur l’horizon.
        j’assistais à la levée d’un nouveau monde, engendré dans une lumière
        à la fois brûlante et froide, accouchant d’une aube pleine de promesses.
L’orpailleur magicien de la brise avait gelé la rosée craquante sous
        mes pas… Je marchais dans le jardin originel, le corps délié de toute incertitude
Tout en bas, la rivière me renvoyait son miroir, je percevais, lointaine, la
        musique de l’eau.
Un frôlement d’ailes ou peut-être un froissement de feuilles…troubla le silence
J’étais venue au monde en caressant le ciel dans le jour secoué.
        je sentis la vibration de la terre gagner tout mon corps, le visage traversé,
        un brin d’aurore sur les joues.

♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

PAROLES D’ARBRES

Poème dédié à Jean Alain Joubert

Nous étions comme deux arbres, deux arbres immenses tournés vers le même soleil
        vers la même soif de connaissance et de partage.
Quelque part dans un temps lointain nous avions peut-être éveillé la même racine sur
        les terres éloignées de notre naissance, si proches pourtant de ce jour d’éclosion à la vie.
Il y a eu notre chemin d’enfance brodé de rubans de couleur, de rubans de douleur, puis
        le pays secret de notre adolescence avec ses murailles aux fenêtres du regard, ses meurtrières
        végétales balayées au vent de l’imaginaire jusqu’à l’épuisement ; les sources d’eau claire
        et les rivières troubles… mais toujours cette petite flamme, cette force vive nous élevant
        au monde de la moisson future. 
Nos arbres ont grandi jusqu’à la rencontre de nos ramures, mêlant un jour leur essence…
         éveillant nos regards à la conscience de l’Etre… renaissance au creux de l’arbre ami.
L’autre moitié de nous était passé dans la lumière de l’autre au fil du long voyage
        commencé dans la fragilité des saisons. 
Pétri de la même chair gémellaire, notre arbre unique aux graines de parole, étire
        son feuillage et sa floraison vers d’autres  rameaux, tissant la toile d’un peintre magicien.
 ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

VISAGE DE MAMIE

extrait de Poèmes dédiés à Mamie ( réédition du CEP )

 

 Mamie, presque un siècle d’image
 Sur ton humble visage de femme
 Femme née de cette terre rude
 Où tes mains ont laissé
 Les traces du partage
 Dans les sillons du cœur.
 Femme au regard de lune
 Où coule la lumière
 Malgré le poids des ans
 Ton corps de porcelaine
 Fragile, mais vivant
 De tant de souvenirs
 Redessine pour moi
 Un pur chemin de vie
 Où chaque phrase dite
 Garde son importance.
 Au rythme des saisons
 Seule dans cette chambre
 Tu repenses à cela
  Résignée mais sereine
  Et ton chapelet noir
  Égrène sur tes doigts
  La prière du cœur.
  
 

 

Portfolio

 

Acrostiches sur les Recueils de Marie-Hélène DOUATpar Danièle DOUAT

♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥
Marie-Hélène DOUAT

Poèmes dédiés à Mamie, suivis d’un Florilège poétique, CD Amf

 

Rencontres & Liens
« C’est même chose que d’aimer ou d’écrire. C’est toujours se soumettre
à la claire nudité d’un silence. C’est toujours s’effacer. »
Christian Bobin, Lettres d’or

 

J’étais à ses côtés, ce jour de la fête des pères 2003, aux Journées de la poésie à Bergerac, organisées et présidées par l’incomparable Annie Delpérier. Celle que j’accompagnais y recevait le prix du recueil de la Ville de Bergerac pour ses derniers poèmes. Avec Transhumance se confirme une poétesse accomplie, chez qui chaque mot résonne d’une émotion vécue, d’une déchirure, d’une intuition d’espoir…

Jean-Jacques, mon camarade de jeunesse, avait voulu nous faire rencontrer. Et nous marchions côte à côte, main dans la main – ce qui symbolise depuis ce jour toute la beauté de notre relation – dans les rues pavées de Sainte-Éminie en ce 10 juin 1984, après un pique-nique inoubliable sur les hauteurs, aux abords de la merveilleuse petite chapelle de « La Capelette » – elle est évoquée en ce programme. Depuis ce jour où tout semblait léger, combien d’épreuves ou de joies avons-nous partagées ? Je n’en dirai mot, elles sont nôtres ; avec ses silences posés sur les mots, elle en évoquera quelques-unes au travers de cet enregistrement où il arrive aussi qu’elle parle de notre gémellité. En effet, le joli mois de mai de l’année 1947 nous vit naître tous deux, mais Marie-Hélène a voulu me précéder de quelques jours, me laissant, tel un bon signe du taureau, la primauté de la jeunesse… celle du petit gémeau !

De tout temps, depuis que je l’ai rencontrée, je l’ai vue écrire. Elle ne saurait d’ailleurs vivre autrement. Par son métier d’infirmière en milieu rural, elle donne ce qu’elle possède de meilleur : attention et tendresse aux infortunés que frappe la maladie et à ceux qui quittent leur vie. Elle leur tient la main… ils se tiennent la main, en amitié, en solidarité. Ici, une bonne salade, là, un bon fromage de chèvre ou des œufs, ailleurs, un café chaud aux jours de frimas… disent leur simple gratitude. Elle, parfois écrit, pour transcender cette descente en silence jusqu’à la tombe. Et c’est là toute l’histoire de cette merveilleuse « Mamie » de Lalo. De ce petit village surplombant le si sauvage Val d’Olt, lui est advenu un bien tendre partage, plein de complicité. L’une monte la colline jusqu’à la demeure de la vieille femme. Celle dont la santé décline descend sa colline moins abruptement. L’une trouve une fille alors qu’elle en fut sa vie entière privée ; l’autre y trouve comme une mère, idéale de tendresse, qui lui abandonne son cœur, réceptacle de l’amour de toute une existence – recueilli pour celle qui allait venir l’accompagner au seuil de la vie éternelle. « Le vrai bonheur, c’est ça : un visage inconnu, et comment la parole peu à peu l’éclaire, le fait devenir familier, proche, magnifique, pur1. »

La sainte patience2 de ces paysans aveyronnais, solides, frottés aux éléments, aux vents, à la neige des cimes qui regardent et interrogent le ciel ! Ils finissent par ressembler à leur Dieu, éperdument attentifs, infiniment dépouillés d’eux-mêmes. « Il y a une beauté qui n’est atteinte que là, dans cette grande intelligence proposée à l’esprit par le temps vide et le ciel pur3. »

« Mamie » avait mérité, par son labeur, son don à l’époux et à la terre ingrate, son endurance à sa solitude finale, de traverser l’épreuve ultime dans l’enchantement de cette connivence inattendue. L’autre, la dame de cœur, recevait un baume sur ses propres blessures, quand l’amour venait à faillir. Comment alors n’auraient-elles pas su qu’« être vivant, c’est être vu, entrer dans la lumière d’un regard aimant4. » Le sens poétique aura fait le reste pour nous conter cette histoire qu’aucun ne peut entendre sans quelques frissons ou une larme. Dans cet enregistrement, les autres poèmes ont le même esprit familier, évocateur, à fleur de peau, de tout ce dont sont constituées nos vies, qu’ils aient pour noms : « Souvenir d’enfance et d’amour », « Poèmes du terroir », « Poèmes en prose »…

Ce samedi 10 mai 2003, à Abjat sur Bandiat, dans le cadre chaleureux d’un chalet de bois, Marie-Hélène enregistrait ses poèmes. Christophe, extrêmement vigilant, lui fit redire les premiers un nombre incalculable de fois, si bien que penché – dans une pièce attenante – sur mes projets associatifs, je me mis à douter de la possibilité d’achever en une seule journée la prise de son. Et pourtant, cela advint car, à mesure que s’écoulaient les heures, Christophe avait compris l’esprit et le message de la poétesse. Il la mit alors en confiance et obtint la quintessence de sa voix et de ses textes.

Déjà, avant la rencontre, Christophe et Marie-Hélène avaient fait un choix de poèmes divisés ainsi :

  • Poèmes dédiés à Mamie (1994) ;
  • « Poèmes du terroir » – extraits de Chemin de résonance (1989), Dans les Fentes de l’ombre (1992) ;
  • « Poèmes d’enfance et poèmes d’amour », en provenance des recueils précités ainsi que Ravines;
  • « Poèmes en prose » parus dans la Revue du Rouergue et La Toison d’or, jamais édités, certains primés à Bergerac. Voyage originel est d’ailleurs un voyage initiatique au-dessus du Lot, au village de Lalo, ce qui nous ramène à l’existence de Marie, cette merveilleuse vieille dame à la fois secourue, prise en tendresse et finalement éternisée, comme pour rendre hommage à tous ces gens simples de nos campagnes.

Le musicien, le metteur en scène sonore, en âge d’être son fils, nous surprend tout comme lors de notre première réalisation, par la manière si entendue avec laquelle il a perçu et assimilé l’art de Marie-Hélène. L’osmose en est si subtile qu’il nous permet non seulement d’écouter la conteuse, mais de revivre ce partage bouleversant et d’en être les témoins de manière différée. Par sa mise en scène inspirée et réaliste, « le film de la vie » de la grand-mère de Lalo se déroule devant nous et nous rend complices de sa destinée. L’émotion qui se dégage de son travail confirme manifestement les dons qu’il déploya pour sa précédente prestation.

Sans doute, même si le ressenti est différent à son jeune âge devant le drame de la vieillesse – qui selon le mot de Cocteau est « un naufrage » –, il nous place devant notre destin et ce qui peut encore faire fleurir nos déserts : un sourire, une attention, un peu de tendresse…

Un autre regard sensible est venu magnifier cette création toute de complicité… celui de la dame aux pinceaux magiques qui a pour nom Madeleine Marcoux. D’une photo prise dans la dernière chambre5 de « Mamie » à Saint-Laurent-d’Olt croisée avec deux ou trois clichés que je fis en mars 2003 sur les lieux mêmes où vécut Marie, elle recréa l’univers de cette femme que tout concourt ainsi à faire entrer dans la légende. Le talent de Madeleine vous donne envie d’aller à la découverte de ces terres rudes et franches. Nul doute alors que vous ne tombiez, comme cela m’advint, amoureux de ce pays si sauvage, vierge des offenses humaines.

Cette collaboration à trois véhicule un message qui, à n’en pas douter, vous atteindra. Cet enregistrement démontre que la véritable poésie parle à chacun de nous un langage qui est celui-là même de la vie. Ce travail d’orfèvre se révèle un pur miracle né de rencontres et de talents croisés ; « oui, c’est un pur miracle, que par des mots enterrés dans des livres, l’on puisse raviver une source6… ».

 

Jean Alain Joubert
Juin et novembre 2003

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1. Christian Bobin, Geai, 1998.
2. « Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. Il ne commande pas à son attente. Il bouge au gré du vent, docile à ce qui s’approche, souriant à ce qui s’éloigne.[…] dans l’attente le commencement est comme la fin, la fleur est comme le fruit, le temps comme l’éternel. », Christian Bobin, L’autre visage, Éditions Lettres Vives, 1991.
3. Christian Bobin, La Part manquante.
4. Christian Bobin, L’Inespérée.
5. Marie Romiguier, « La Mamie », vint s’installer à la Maison de retraite du Val d’Olt, à Saint Laurent d’Olt (Aveyron).
6. Christian Bobin, Le Huitième jour de la semaine, Éditions Lettres Vives, 1986.

 

 

 Marie-Hélène Douat, poétesse  Christophe Carpentier, compositeur, interprète
 
 Mamie, Marie Romiguier, Lalo, Saint-Laurent-d’Olt©Marie-Hélène Douat  Peinture de Madeleine Marcoux, 2003©Marie-Hélène Douat

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